23.3.15

ALONSO CANO, CE GRAND ARTISTE, CE GRAND INCONNU

Alonso Cano, né à Grenade en 1601, est l’un des artistes espagnols les plus importants du siècle d’or avec Velázquez, Zurbaran et Murillo et le seul artiste baroque espagnol dominant les trois arts majeurs: L'architecture, la sculpture et la peinture, surnommé le Michel-Ange espagnol.

A l’âge de 14 ans il émigre avec sa famille à Séville. Il sera d’abord l’élève de son père, architecte de retables. Par la suite il se retrouvera avec Velázquez dans l’atelier de Francisco Pacheco. Une amitié sincère unira les deux artistes jusqu’à la mort de Velázquez.
Avant ou après un apprentissage d’une durée indéterminée dans l’atelier de Pacheco tout indique qu’il travailla dans l’entourage immédiat du grand sculpteur andalou Martinez Montañes. Ses premiers travaux sont difficiles à déterminer car Alonso Cano était moins précoce que son condisciple Velázquez.
Sa première œuvre certaine en peinture n’étant que de 1624 et représente Saint François de Borgia mais l’on suppose qu’il avait d’abord sculpté quelques Immaculées Conceptions et autres saints très semblables à ceux de Martinez Montañes.
A partir de 1627 les contrats, tant en sculpture qu’en peinture, deviennent nombreux et importants et peu après, son prestige à Séville est égal à celui de Velázquez à Madrid. Il travaillera à Séville jusqu’en 1638 avant de rejoindre son ami Velázquez à la cour de Madrid. Appelé par le Premier Ministre Gaspard Guzman, comte d’Olivares il deviendra professeur de dessin du Prince héritier. A Madrid, Getafe, Alcala de Henares et autres localités il exécutera un ensemble de peintures assez variées ( on ne connaît de lui aucune sculpture authentique de cette époque madrilène ) mais il réalisera certains travaux d’architecture aujourd’hui disparus, entre autres le très souvent cité Arc de triomphe de la porte de Guadalajara à Madrid.
En 1644, après le dramatique assassinat de sa deuxième épouse, accusé de complicité il s’enfuit épouvanté et se réfugie au monastère de Porta Coeli. Huit mois plus tard il réapparaît à Madrid et reprend ses activités jusqu’en 1652 date à laquelle il rejoindra sa ville natale en qualité de prébendier de la cathédrale. A Grenade son activité est intense tant en sculpture, qu’en peinture et architecture. Dans son atelier de la tour de la cathédrale de nombreux disciples exécutent des copies à partir de ses dessins. La différence de qualité entre les créations originales d’Alonso Cano et celles de ses aides et disciples est abyssale.

Homme généreux, sincère et de grande foi, Alonso Cano, conscient de sa valeur, montre parfois un caractère difficile vis-à-vis de ceux qui ne sont pas capables d’estimer la valeur de son art. Il s’affrontera souvent aux autres religieux pour pouvoir disposer du temps que son art exige. En raison de sa mésentente avec le clergé il alterne sa résidence entre Grenade et Madrid jusqu’en 1660. Une fois résolus ses litiges avec le clergé il rentre définitivement à Grenade en 1660 où il décèdera dans la pauvreté en 1667.

Fort connu et apprécié de son vivant ses œuvres majeures et mineures ( y compris les dessins ) étaient très recherchées. Les témoignages contemporains ( contrats, inventaires, successions, anecdotes, biographies souvent romancées ) sont plus importants que ceux de la plupart des autres artistes y compris de son ami Velázquez, si l’on excepte pour ce dernier sa vie de courtisan et ses voyages en Italie.

Le destin de l’œuvre de Cano subit de lourdes pertes: incendies, pillage des troupes de Napoléon, desamortización, guerres carlistes et autres conflits civils et anti-cléricaux.

Après sa mort on commença à lui attribuer des œuvres médiocres, le premier livre monographique avec reproductions de 1948 ne contient pas moins de la moitié d’œuvres apocryphes bien inférieures en qualité à ce qui lui revient. La grande encyclopédie hispano américaine Espasa de 1930 reproduit 12 images dont 8 sont aujourd’hui inacceptables.

Le grand drame posthume du corpus artistique d’Alonso Cano est l’adjonction d’un nombre considérable d’œuvres douteuses la plupart du temps de très mauvaise qualité; et le retrait d’œuvres majeures prêtées à Zurbarán, Velázquez, Ribalta, etc... cas unique dans les annales de l’histoire de l’art. Justice fut faite à Alonso Cano à partir de 1955 grâce à l’excellent travail de l’historien d’art américain Harold Edwin Wethey, catalogue Princeton 1955.

Citons pour exemple certaines erreurs d’attributions rectifiées :
  1. Sa première œuvre connue Saint François de Borgia ( musée des Beaux-Arts de Séville ) qui avait été attribuée à Zurbaran jusqu’en 1946 date à laquelle apparut après nettoyage la signature et la date: Alonso Cano 1624.
  2. Un Saint Jean actuellement propriété de la mairie de Barcelone ( ex-collection Castells ) avait aussi été attribué à Zurbaran jusqu’en 1945.
  3. Les deux magnifiques Saint Jean et Saint Jacques du musée du Louvre de Paris apparurent aux enchères chez Sotheby’s à Amsterdam en 1976, attribués à Ribalta.
  4. En 1992 le Musée National d’Art de Catalogne ( MNAC ) de Barcelone présenta une collection de dessins avec à l’affiche un superbe croquis de Saint Antoine le Grand attribué trois ans plus tôt dans les catalogues à un artiste catalan Jean-Baptiste Perramon, puis identifié par Alfonso Pérez Sánchez comme une œuvre d’Alonso Cano.
  5. En 1994 à Londres apparaissait le fleuron de la méprise entre Cano et Velázquez, la fameuse Immaculée Conception, propriété du galeriste parisien Charles Bailly, présentée comme Vélázquez et réfutée par Alfonso Perez Sanchez. Cette Immaculée venait d’une vente parisienne Ader -Picard-Tajan en 1990 cataloguée Cercle de Velázquez. Recalé aux enchères à Londres le tableau disparaît de la circulation pour réapparaître en 2009 à Séville, acheté par la Fondation Focus-Abengoa comme un Alonso Cano. Moins d’un an plus tard la publication Ars Magazine attribue définitivement l’Immaculée à Velázquez dans un article signé par le même responsable de l’achat en tant qu’Alonso Cano.

Aujourd’hui 23 mars 2015, 25 ans après son apparition sur le marché parisien l’Immaculée est là de nouveau à Paris avec sa sœur jumelle. Est-elle bien de Velázquez et l’autre aussi ?

Les Immaculés de Velázquez ou Cano

Car toutes ces confusions ne sont pas innocentes. Les historiens ont souvent insisté sur le peu d’intérêt de Velázquez pour la peinture religieuse et la justification de l’œuvre première à Séville n’est que tardive, inégale et trop souvent clairsemée de lacunes. La réunion des œuvres de Velázquez s’est transformée en un puzzle aléatoire où la logique d’ensemble disparaît derrière la littérature appuyée par la disparité des œuvres proposées. Les sources sont trop souvent récentes et peu solides. Si une œuvre ne présente pas dans son aspect visuel les canons, les archétypes et les obsessions de son auteur, une provenance insuffisamment justifiée ne donne aucune garantie. Il faudrait donc réviser à la loupe, point par point, l’origine des premières œuvres ( surtout les religieuses ) avant de s’envoler vers des interprétations trop subjectives et de multiplier à l’infini les œuvres pourtant assez rares de Velázquez.

A l’exposition du Grand Palais, un autre Saint Jean, propriété de l’Art Institute de Chicago est de nouveau présenté comme un Velázquez après avoir fait trois fois la navette entre Alonso Cano et Velázquez. L’avant-dernière attribution à Cano par Zahira Veliz me paraissait correcte jusqu’à ce que Javier Portus la contredise en publiant dans Ars Magazine une rectification plus subjective que scientifique avec des arguments peu convaincants. Nous ne devrions pas céder à la manie de la revue madrilène de nous offrir chaque six mois un nouveau Velázquez.

ARS MAGAZINE = Nouvelles attributions à Vélázquez

N° 2 avril/juin 2009
Javier Portus -- Saint Jean-Baptiste dans le désert -- Art Institute de Chicago
( rectification peu convaincante; son attribution à Alonso Cano par Zahira Veliz devrait être maintenue ).

N° 3 juillet/septembre 2009
Benito Navarrete -- Immaculée Conception provenance Ader-Picard-Tajan, Paris 1990
Charles Bailly, Paris.
Sotheby’s Londres 1994.
Charles Bailly Fine Art, Genève.
Focus Abengoa - Seville.

Cette Immaculée provient d’un retable du Collège de San Alberto de Séville et fut exposée en 1810 à l’Alcazar de Séville. Salle 2, N° 60 du catalogue « Inventario de los cuadros sustraidos por el Gobierno intruso en Sevilla el año 1810 » par Manuel Gomez Imaz.
1ère édition Sevilla E. Rasco 1896.
2èmeédition Sevilla M. Carmona 1917.
3ème édition Sevilla Centro de Estudios Andaluces 2009.
Harold Wethey : “Alonso Cano pintor, escultor y arquitecto”. Madrid, Alianza Editorial 1983, pages 121 et 122. 
L’attribution de cette oeuvre d’Alonso Cano par Pérez Sánchez en 1994 devrait se maintenir mais en rectifiant la date erronée de 1618 pour 1635/37

N° 7 juillet/septembre 2010
John Marciari -- L’Education de la Vierge, Université de Yale, Connecticut.

Cette œuvre est inacceptable comme de Velázquez en 1617.
Elle contient tous les canons et archétypes de l’atelier ou l’entourage de Juan de Roelas.
Exemples:
La Main de Saint Joseph maladroite en forme de truelle de maçon.
Les fronts surélevés et de mauvaises proportions ( pour les enfants ).
Les habits trop larges.
Les orbites des yeux enfoncées.
Lea autres mains trop grandes, etc, etc...

L’état de conservation général étant mauvais, le manque de toutes les couches définitives nous éloigne a première vue du résultat et de la finition des œuvres importantes sorties de l’atelier de Juan de Roelas. Mais si l’on compare le dessin de base avec des œuvres connues à partir de photographies en noir et blanc la similitude des formes est évidente.
Les couleurs plates qui ont survecu malgré leur vivacité ne sont que l'ombre d'un tableau qui devrait avoir des couleurs plus brillantes pour rappeler une œuvre originale de Roelas.

N° 12 octobre/décembre 2011
Peter Cherry « Portrait de gentilhomme » Bonhams Londres ( en ballotage, sans commentaire ).

N° 17 janvier/mars 2013
Carmen Garrido « Portrait de Sebastian de Huerta » ( pourrait être accepté comme Vélázquez ).

Quant au Saint Jean de Chicago, j’aimerais rappeler qu’à 250 miles de Chicago à Cincinnati ( Ohio ) est exposé un autre Saint Jean d’Alonso Cano présentant les mêmes caractéristiques. Celui-ci a pu échapper aux impostures car il est signé d’un monogramme et répète les manies d’Alonso Cano avec sa sempiternelle habitude de laisser la jambe gauche en avant et nue du genou jusqu’au pied, sorte de contrapposto qui donne une dynamique à ses sujets. Je tiens à préciser qu’à toutes ses époques les Saint Jean d’Alonso Cano sont très nombreux.